« Ceux qui restent » – Marie Laberge, ed Stock

labergeUn roman qui nous vient tout droit du Canada, ce n’est pas si fréquent. Et quand c’est un roman qui « prend aux tripes », c’est encore mieux. Marie Laberge a déjà un lectorat installé en France, grâce à sa trilogie « le goût du bonheur », publié il y a quelques années. « Ceux qui restent » va assurément contribuer à accroître le nombre de ses lecteurs. C’est un roman intense, une sorte de huis-clos entre quatre personnages principaux très différents, qui se retrouvent brutalement confrontés au suicide d’un proche, sans que celui-ci ait laissé une quelconque explication ni prémédité son geste. Chaque protagoniste s’exprime tour à tour : son père, sa mère, sa maîtresse, son meilleur ami. Le sujet pourrait paraître morbide, il n’en est rien. Marie Laberge a voulu écrire avant tout un roman sur la vie. Petit à petit, les personnages vont se rapprocher les uns des autres, dans une quête d’explication du geste de Sylvain. Et c’est cette quête qui va leur permettre avant tout de se remettre en question et d’aller à la recherche d’eux-mêmes. Un livre fraternel, profondément humain, à découvrir.

 

J’ai eu la chance d’interviewer Marie laberge pour le magazine Page, bonne lecture !

L’histoire commence ainsi : Sylvain, trentenaire, met brusquement fin à ses jours, sans aucune explication. « Ceux qui restent » : son père, sa mère, sa femme, sa maîtresse, son meilleur ami, racontent leur lien avec Sylvain et comment le geste de ce-dernier va changer leur vie.

 

NI : Marie Laberge, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

ML : Je suis née à Québec mais j’ai vécu la majeure partie de ma vie à Montréal, qui est une ville que j’adore. J’ai commencé à écrire très tôt, d’abord pour le théâtre – il faut dire que j’ai une formation de comédienne. Puis je me suis tournée vers le roman, même si c’est au départ le théâtre qui m’a fait connaître. Deux de mes pièces ont d’ailleurs été jouées en France, dont une, « Oublier », à la Comédie Française. Ensuite, le succès est venu avec la trilogie « le goût du bonheur ».

NI : Votre roman commence par le suicide d’un homme ; le suicide est-il le thème principal du livre ?

ML : Non. C’est au contraire un roman sur la vie, sur les gens qui doivent réapprendre à vivre après le suicide d’un proche. Mettre fin à ses jours est un acte violent autant pour soi-même que pour son entourage. Je voulais traiter les conséquences d’un tel geste plutôt que les causes.

NI : La mort de Sylvain est donc un élément déclencheur ?

ML : oui, exactement. J’ai voulu montrer que nous sommes parfois confrontés, dans la vie, à des événements plus ou moins graves qui nous obligent à réagir, nous amenant par là-même à devenir la personne que l’on est profondément. Ces événements nous construisent et nous permettent de devenir nous-mêmes. Même si, au départ, ils peuvent sembler sont ravageurs. C’est l’objet même de mon roman : montrer la force de vie que chacun de nous possède en nous-mêmes.

NI : votre livre parle aussi beaucoup d’amour…

ML : C’est vrai ; C’est un livre sur l’amour, toutes les formes d’amour. Quand on est jeune, on est guidé par l’amour de nos sens, de nos hormones. Puis au fur et à mesure que l’on avance dans la vie, d’autres formes d’amour apparaissent, que l’on n’imaginait peut-être pas au départ. Chacun de mes personnages évoque une de ces formes d’amour.

NI : Vous donnez voix à chacun des personnages alternativement, mais peu à peu tous ont des liens entre eux, qui se construisent ou se renforcent.

ML : Effectivement. J’ai aussi voulu écrire sur la manière dont on se perçoit nous-même, mais aussi comment on se voit par rapport aux autres et comment on imagine que les autres nous voient. Certains de mes personnages n’ont que faire du regard des autres, pour d’autres au contraire c’est extrêmement important. Ce regard que l’on porte sur soi-même à-travers les autres peut parfois être déterminant dans une vie, et faire son bonheur ou bien son malheur si l’on y porte trop attention.

NI : Parlez-nous du style et du ton de votre roman ; Il y aussi beaucoup d’expression québecquoises, c’est assez original pour le lecteur français

ML : Il y a plusieurs niveaux de langage, parce que les personnages ont chacun une histoire et un milieu social particulier. Le langage met souvent en lumière les différences sociales. J’ai aussi beaucoup fait parler les personnages sous forme de monologue intérieur, parce que je crois qu’il est important de se parler à soi-même. C’est un moyen de calmer la panique qui monte parfois en nous. Et puis aussi, parce que dans les grandes solitudes, nous sommes notre premier et dernier ami. Les autres ne sont pas toujours là pour nous soutenir, alors il faut pouvoir tenir le coup.

NI : Pour clore l’interview, pouvez-vous nous parler d’un livre qui vous accompagne ?

ML : Deux œuvres qui m’accompagnent très régulièrement, notamment pendant mon processus d’écriture, ce sont les trois tomes des « Carnets » d’Albert Camus, et la poésie de Rainer Maria Rilke. D’ailleurs j’ai mis en exergue de mon livre une citation de Rilke, qui résume l’esprit du roman : « Pour le reste, laissez faire la vie. Croyez-moi, la vie a toujours raison ».

Merci, Marie Laberge, pour cet entretien et pour ce beau livre.